Dans le cadre d’un bail commercial, la clause d’indexation (ou clause d’échelle mobile) permet d’ajuster automatiquement le loyer en fonction de l’évolution d’un indice de référence (généralement l’ILC – indice des loyers commerciaux, ou l’ILAT – indice des loyers des activités tertiaires). Toutefois, toutes les clauses d’indexation ne se valent pas : certaines configurations peuvent être jugées illicites et donc considérées comme “réputées non écrites” par les tribunaux. Une récente décision de la Cour de cassation (22 mai 2025) illustre justement les limites à ne pas dépasser. Dans cet article, nos avocats font le point de manière accessible sur ce qu’est une clause d’indexation illicite, ses conséquences juridiques, la jurisprudence récente et les bonnes pratiques pour sécuriser vos baux commerciaux.
Qu’est-ce qu’une clause d’indexation dans un bail commercial ?
Dans un bail commercial, une clause d’indexation (ou clause d’échelle mobile) est un mécanisme par lequel le loyer va évoluer automatiquement au cours du temps en suivant la variation d’un indice de référence. En pratique, les parties choisissent un indice officiel (par exemple l’indice des loyers commerciaux ILC pour les activités commerciales ou l’indice des loyers des activités tertiaires ILAT pour les bureaux) et conviennent d’une périodicité de révision (souvent annuelle). Depuis septembre 2014, l’indice du coût de la construction (ICC) n’est plus le seul indice de référence dans une clause d’échelle mobile. Ainsi, le loyer sera révisé automatiquement chaque année (ou chaque trimestre, semestre, etc. selon la clause) en fonction de la variation de l’indice choisi : si l’indice monte, le loyer augmente proportionnellement ; s’il baisse, le loyer diminue d’autant. Ce dispositif vise à préserver l’équilibre économique du contrat sur la durée du bail, en évitant que le loyer ne perde de sa valeur (pour le bailleur) ou n’augmente démesurément par rapport au marché (pour le locataire).
Exemple : Un bail commercial prévoit une indexation annuelle du loyer selon l’ILC. Si l’ILC a augmenté de 2 % sur l’année écoulée, le loyer de l’année suivante sera majoré de 2 %. Inversement, si l’ILC a diminué de 1 %, le loyer devra être baissé de 1 %.
Quand une clause d’indexation devient-elle illicite ?
En principe, les clauses d’indexation sont autorisées, à condition de respecter certaines règles légales. Deux grandes catégories d’irrégularités peuvent rendre une clause d’indexation illicite (illégale) et donc de la rendre nulle :
- Violation des règles du Code monétaire et financier : La loi encadre strictement le choix des indices d’indexation afin d’éviter les abus. L’article L.112-2 du Code monétaire et financier interdit de prendre comme indice de référence un indice « interdit ou manipulable ». Par exemple, il est défendu d’indexer un loyer commercial sur le SMIC, sur le niveau général des prix ou des salaires, ou sur le prix de biens ou services sans rapport direct avec l’activité concernée. De même, l’indice choisi ne doit pas conduire à des révisions sur des périodes trop longues par rapport à la fréquence d’indexation (l’article L.112-1 du même code prohibe les indexations avec une période de variation de l’indice supérieure à l’intervalle entre deux révisions). La Cour de cassation a adopté cette position depuis 2020 (Civ. 3ème, 6 fév. 2020, n°18-24.599). Donc, les praticiens veilleront à prévoir une période de variation indiciaire qui ne soit pas supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision.
En résumé, l’indice doit être autorisé par la loi et présenter un lien pertinent avec le contrat de bail. Il doit être public et fixé indépendamment du bailleur ou du locataire.
- Clause d’indexation asymétrique (absence de neutralité) : C’est le cas de figure le plus fréquent de clause illicite en matière de baux commerciaux. Une clause d’indexation ne peut pas prévoir une variation du loyer dans un seul sens. En clair, le loyer doit pouvoir évoluer à la baisse comme à la hausse en fonction de l’indice. Si la clause stipule que le loyer ne sera révisé qu’à la hausse (ou qu’il ne baisse pas en cas de diminution de l’indice), elle est considérée comme déséquilibrée et contraire aux principes juridiques. La jurisprudence (c’est-à-dire les décisions des tribunaux, notamment de la Cour de cassation) a posé le principe qu’une telle clause purement unilatérale est illicite. Elle contrevient en effet aux règles d’ordre public encadrant la révision des loyers commerciaux, en privant le locataire de toute baisse possible du loyer. Notre Cabinet a été l’un des premiers à déconseiller à nos clients bailleurs toute distorsion dans les clauses d’indexation de leurs baux commerciaux, bien avant le revirement opéré par la Cour de cassation par un arrêt rendu en 2016 (Civ. 3ème, 14 janv. 2016, n°14-24.681). La Haute juridiction juge donc illicite et réputée non écrite toute clause d’indexation du loyer qui ne joue qu’à la hausse (variation unidirectionnelle). On parle parfois de “clauses à cliquet” (ou clause de plancher) pour désigner ces mécanismes où le loyer est bloqué à son plus haut niveau atteint et ne peut plus redescendre.
Pourquoi ces clauses sont-elles interdites ? Tout simplement parce qu’elles faussent l’économie du contrat et créent un avantage injustifié pour une partie. En empêchant le loyer de diminuer quand l’indice baisse, le bailleur bénéficie d’une augmentation automatique du loyer sans réciproque possible pour le locataire. Ce déséquilibre viole le principe de l’évolution conjointe du loyer avec l’indice, et contrevient aux dispositions d’ordre public qui encadrent la révision des loyers commerciaux. L’article L.145-39 du Code de commerce prévoit d’ailleurs qu’une clause d’échelle mobile qui n’autorise la variation du loyer que dans un sens (par exemple uniquement à la hausse) est inopposable au locataire. En d’autres termes, un locataire pourrait légitimement refuser l’application d’une indexation asymétrique. En outre, l’article L.145-15 du Code de commerce stipule que toute clause ayant pour effet de faire échec aux règles légales de révision (telles que celles permettant la baisse du loyer) est réputée non écrite. C’est pourquoi les juges considèrent ces clauses comme nulles de plein droit, sans même avoir à prouver un préjudice.
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Quelles sont les conséquences d’une clause d’indexation illicite ?
Lorsqu’une clause d’indexation est jugée illicite, la sanction principale est sa nullité. Plus précisément, la clause est dite « réputée non écrite » conformément à l’article L.145-15 du Code de commerce. Ce terme signifie que la clause est considérée comme n’ayant jamais existé dans le contrat : elle ne produit aucun effet juridique et ne peut plus être invoquée par le bailleur ou le locataire. Par exemple, si un bailleur a appliqué pendant un temps une indexation illicite (uniquement à la hausse), le locataire pourra demander le remboursement des augmentations de loyer indûment perçues, la clause étant annulée rétroactivement.
Cependant, il est important de noter que les tribunaux font désormais preuve de nuance dans la manière de sanctionner ces clauses. Plutôt que d’annuler purement et simplement toute la clause d’indexation, la tendance jurisprudentielle est de ne supprimer que la portion illicite de la clause, lorsque cela est possible. Autrement dit, sauf si les différents éléments de la clause sont indissociables, seule la stipulation illicite est écartée et le reste de la clause continue de s’appliquer normalement.
C’est ce qu’a admis la Cour de cassation pour adoucir sa jurisprudence (Civ. 3ème, 22 mai 2025, n°23-23.336). Avant, toute la clause était annulée pour toujours, même lors des renouvellements de baux, ce qui rendait le bail complètement déséquilibré à long terme. Car là est l’inutilité de la clause déséquilibrée : à long terme, l’indice augmente et le bailleur n’a pas à s’aménager une distorsion au détriment du locataire.
Avec cette nouvelle jurisprudence, concrètement, dans le cas d’une clause “uniquement à la hausse”, la partie prohibée est la mention empêchant la baisse du loyer. Les juges pourront supprimer cette mention, tout en laissant subsister le mécanisme d’indexation pour les variations de loyer conformes à la loi (c’est-à-dire à la hausse et à la baisse). Le bail continuera donc d’être indexé sur l’indice choisi, mais à la hausse comme à la baisse. Cette approche permet de préserver l’intention des parties autant que possible – on considère que les contractants souhaitaient probablement l’indexation du loyer en elle-même, même s’ils avaient initialement encadré cette indexation de manière illicite. On ne peut pas imaginer qu’un loyer fixé aujourd’hui soit le même après deux renouvellements, 27 ans plus tard.
Il existe toutefois une limite à cette « survie partielle » de la clause illicite : c’est le cas où la clause d’indexation est indivisible, c’est-à-dire que l’on ne peut pas en retrancher une partie sans dénaturer complètement son sens ou sans aller à l’encontre de la volonté clairement exprimée des parties. Si le bailleur et le locataire avaient manifestement conditionné leur accord sur une indexation strictement non réciproque (par exemple, clause expressément présentée comme une condition essentielle et non négociable du bail), les juges estimeront que la clause d’indexation dans son ensemble est inséparable de la stipulation litigieuse. Dans ce cas rare, toute la clause serait annulée. Néanmoins, la jurisprudence récente a tendance à exiger une véritable démonstration de cette indivisibilité : il ne suffit pas pour le locataire d’affirmer que le bailleur n’aurait pas contracté sans cette clause spécifique, encore faut-il prouver que la clause ne peut fonctionner du tout sans la stipulation illicite. En pratique, les tribunaux cherchent donc à éviter les sanctions excessives et à sauvegarder l’équilibre du contrat chaque fois que possible, en neutralisant uniquement ce qui doit l’être.
L’illustration par la Cour de cassation du 22 mai 2025 : clause partiellement non écrite
Pour mieux comprendre comment s’appliquent ces principes, examinons en détail l’affaire récente qui a fait l’objet de l’arrêt de la Cour de cassation le 22 mai 2025 que nous évoquions précédemment (Civ. 3ème, 22 mai 2025, pourvoi n°23-23.336). Cette décision est venue préciser les modalités de suppression d’une clause d’indexation illicite dans un bail commercial.
▶️ Les faits de l’affaire. Un bail commercial était assorti d’une clause prévoyant une indexation du loyer uniquement à la hausse de l’indice de référence. Autrement dit, si l’indice augmentait, le loyer augmentait d’autant, mais si l’indice diminuait, le loyer était maintenu, sans baisse. Le locataire, estimant cette clause illicite du fait de son asymétrie, a saisi le juge des loyers commerciaux pour la faire annuler et obtenir le remboursement de la majoration du loyer due à l’indexation qu’il jugeait illicite. De son côté, le bailleur a fait valoir que cette clause constituait un élément déterminant de son consentement : selon lui, il n’aurait jamais signé le bail sans cette stipulation garantissant un loyer minimum.
▶️ La décision de la Cour d’appel. La Cour d’appel, se rangeant aux arguments du bailleur sur l’importance de la clause, a prononcé l’annulation de l’ensemble de la clause d’indexation. Pour les juges du fond, toutes les stipulations relatives à l’indexation (et le fait qu’elles ne permettent pas la baisse du loyer) faisaient partie intégrante de la volonté du bailleur de conclure le bail. Ils ont donc estimé que la clause était indivisible et ont décidé de l’écarter en bloc du contrat. Ainsi, le loyer se retrouve fixe et jamais indexé.
▶️ Le raisonnement de la Cour de cassation. Saisie du pourvoi du locataire, la Cour de cassation a censuré la décision des juges d’appel. Elle a reproché à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si la seule stipulation illicite (l’interdiction de la baisse) pouvait être retranchée sans nuire à la cohérence de la clause. En d’autres termes, la Haute juridiction estime que les juges auraient dû vérifier concrètement si la clause d’indexation pouvait continuer à fonctionner de manière cohérente en ne supprimant que l’élément prohibé. La Cour de cassation rappelle ainsi qu’on ne doit pas annuler toute une clause d’indexation dès qu’une partie est illicite, sauf si vraiment on ne peut pas faire autrement. Le fait que le bailleur considère subjectivement cette clause comme essentielle ne suffit pas : encore faut-il que ses différentes composantes soient objectivement inséparables.
Dans cette affaire, la conséquence de l’arrêt de la Cour de cassation est un renvoi devant une nouvelle Cour d’appel, qui devra réexaminer la clause. La Cour de cassation vient sauver le bailleur de son entêtement qui risquait de lui nuire. Sauf élément nouveau démontrant l’indivisibilité totale, il est fort probable que seule la mention “uniquement à la hausse” sera invalidée, tandis que la clause d’indexation pour le surplus sera maintenue (c’est-à-dire que le loyer restera indexé sur l’indice, mais à la hausse comme à la baisse). Cette solution respecte l’équilibre du contrat : le bailleur conserve le bénéfice de l’indexation (suivre l’inflation), et le locataire obtient la neutralisation de la clause abusive.
En résumé : les enseignements à retenir
- Une clause d’indexation doit être neutre et équilibrée. C’est un peu le principe repris par l’évolution du droit positif imposant un équilibre dans les obligations respectives des parties. Notre Cabinet veille à cet équilibre. Une clause d’indexation du loyer commercial ne peut pas jouer uniquement à la hausse. Si elle exclut la baisse du loyer en cas de variation négative de l’indice, elle est illicite et sera censurée par le juge le cas échéant. Ce type de clause asymétrique est réputé non écrit car il fait échec aux règles d’ordre public de révision des loyers commerciaux.
- La nullité peut être partielle. Lorsqu’une clause d’indexation est partiellement illicite, ce n’est pas forcément toute la clause qui disparaît. Les tribunaux chercheront d’abord à écarter la seule stipulation prohibée, si le reste de la clause peut conserver un sens et une utilité. Le mécanisme d’indexation “nettoyé” de l’élément illicite continuera alors de s’appliquer.
- Vérifier l’indivisibilité de la clause avant de l’annuler dans son ensemble. Les juges doivent vérifier l’indivisibilité de la clause litigieuse avant de prononcer son annulation totale. Ce n’est qu’en cas d’indivisibilité avérée – c’est-à-dire si la clause est inséparable de la stipulation illicite – que l’annulation complète de la clause d’indexation se justifie. La simple importance subjective de la clause pour l’une des parties ne suffit pas à la rendre indivisible.
Comment sécuriser vos clauses d’indexation ?
Pour éviter tout contentieux ou toute mauvaise surprise liée à une clause d’indexation, il est recommandé de rédiger ces clauses avec une grande rigueur et en suivant les bonnes pratiques suivantes :
- Assurez la neutralité de la clause : La clause d’indexation doit prévoir la réciprocité des variations. Évitez toute formulation qui bloquerait le loyer à la hausse ou à la baisse au-delà de ce que fait l’indice. Par exemple, n’introduisez pas de “plancher” empêchant toute diminution du loyer ; de même, un “plafond” trop bas pourrait être contesté s’il empêche le jeu normal de l’indexation à la hausse. La clause idéale laisse évoluer le loyer dans les deux sens en fonction de l’indice, sans distorsion.
- Utilisez un indice autorisé et pertinent : Le choix de l’indice est crucial. Privilégiez les indices officiels prévus pour les baux commerciaux : l’ILC (indice des loyers commerciaux), l’ILAT (indice des loyers des activités tertiaires) ou éventuellement l’ICC (indice du coût de la construction) selon la nature de votre bail. N’utilisez jamais un indice prohibé ou exotique : par exemple, indexer un loyer sur le SMIC ou sur un indice sans lien avec l’activité est interdit et rendrait la clause nulle. De manière générale, l’indice doit avoir un lien direct avec l’objet du bail (activité du locataire ou caractéristiques du local) et être autorisé par la réglementation.
- Rédigez la clause de manière précise et équilibrée : Une bonne clause d’indexation doit être clairement formulée, pour éviter toute ambiguïté d’interprétation. Précisez bien l’indice choisi, la périodicité, la date ou le trimestre de référence pour le calcul, le mode de calcul de la variation, etc. Assurez-vous que la clause respecte les dispositions légales en vigueur (par exemple, conformité avec les articles L.145-37 et suivants du Code de commerce, issues notamment de la loi Pinel). Évitez les clauses trop déséquilibrées en faveur d’une partie : en cas de doute, les juges pourront les réputer non écrites au nom de l’équilibre contractuel.
- Anticipez et faites vérifier vos baux par un professionnel : Chaque contrat et chaque situation étant unique, il est conseillé de faire examiner la clause d’indexation par un juriste ou un avocat spécialisé avant la signature du bail. Ce dernier pourra vous confirmer si la clause est valide ou s’il convient de l’ajuster pour éviter tout risque de remise en cause et d’annulation. En cas de bail existant avec une clause d’indexation ancienne, un audit juridique peut être opportun pour prévenir tout litige futur – par exemple si l’indice utilisé n’est plus valable ou si la clause comporte une asymétrie involontaire. Mieux vaut prévenir que guérir : une clause d’indexation sécurisée vous évitera des contentieux coûteux et des incertitudes quant au calcul du loyer et la valeur de vos murs, souvent calculée à partir de leur rentabilité.
Conclusion
La clause d’indexation est un outil utile et légitime pour faire varier le loyer d’un bail commercial en fonction de l’économie, mais elle doit être maniée avec prudence et précision juridique. La jurisprudence récente, illustrée par l’arrêt du 22 mai 2025, rappelle que lorsqu’une clause d’indexation contrevient aux règles (par exemple en étant unilatérale), son sort doit être évalué avec mesure. Plutôt que de la frapper de nullité totale systématiquement, les juges chercheront à préserver l’équilibre du contrat en ne retranchant que ce qui est strictement illicite ou déséquilibré. En tant que bailleur ou locataire, la leçon à retenir est de soigner la rédaction de vos baux commerciaux : respectez la neutralité de la clause, choisissez un indice approprié et conforme aux lois, et n’hésitez pas à vous faire conseiller pour éviter les écueils. Une clause d’indexation valide et équitable garantira une évolution du loyer sereine et conforme aux attentes des deux parties, tout en résistant à l’épreuve d’un examen juridique ou judiciaire.
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