Dans un dossier de succession, notre Cabinet soutenait que la veuve qui se disait créancière de son défunt mari, était prescrite dans son action en paiement, cinq ans après son décès.

La veuve soutenait au contraire qu’elle devait bénéficier du même régime que les créances de son défunt mari, lesquelles se prescrivent cinq ans après le partage de sa succession.

Si vous êtes créancier du défunt, vous devez déclarer votre créance conformément aux dispositions de l’article 792 du Code civil, mais en outre agir en recouvrement dans les cinq ans du décès.

Furieux de se voir déclarée prescrite, la veuve qui s’estimait créancière du défunt, pose au juge du fond une question prioritaire de constitutionalité en considérant qu’instituer par la jurisprudence de la Cour de cassation, deux régimes distincts selon qu’on est créancier ou débiteur du défunt, constituerait une rupture d’égalité devant la loi.

En effet, lorsque que vous êtes créancier d’une personne décédée, vous devez agir contre la succession dans un délai de cinq ans à compter de son décès, alors que si vous êtes débiteur du défunt, les héritiers peuvent vous poursuivre en paiement pendant cinq ans à compter, non pas à compter du décès, mais à compter de la date du partage qui peut intervenir plus de cinq ans après le décès.

Comment s’explique une telle différence de traitement ?

Lorsque le débiteur décède, le créancier peut aisément arrêter le montant de sa créance. Il doit donc agir avec célérité pour la recouvrer, sur les biens de la succession, dans un délai de cinq ans, ce qui est un délai raisonnable pour agir, au-delà duquel, ses héritiers pourraient considérer que le créancier a abandonné ses droits au profit du défunt.

Il ne faut donc pas perdre de temps, surtout si les héritiers se révèlent difficiles à identifier et à localiser. Il y aura en outre la difficulté de connaître les coordonnées du notaire en charge du règlement de la succession.

Mais lorsque c’est le défunt qui est créancier, il est normal pour plusieurs raisons que les héritiers bénéficient, certes toujours d’un délai de cinq ans pour recouvrer les sommes dues, mais à compter du partage et non du décès.

Pourquoi ?

Première raison : il faut identifier les héritiers, et tous les héritiers, ce qui peut prendre un certain temps, notamment si certains sont établis dans un autre pays, ou si les biens de la succession se situent dans plusieurs pays, avec des droits de succession différents, nécessitant de recourir aux règles du droit international privé.

Une fois que sont identifiés les héritiers et déterminés l’actif et le passif de la succession, le notaire aura la charge d’ouvrir les opérations de comptes, liquidation et partage de la succession, après avoir établi un acte de notoriété après décès.

Ce n’est qu’après toutes ces opérations, notamment de calcul des créances, des rapports et récompenses éventuelles, que le notaire sera susceptible de déterminer le montant de l’éventuelle créance du défunt envers le débiteur.

Une fois les comptes liquidés entre les héritiers, l’acte de partage peut être établi.

A partir de la signature de l’état liquidatif, ce qui nécessite l’accord de tous les héritiers, chacun des héritiers va savoir quelle est la consistance de son lot, quel actif, voire quel passif va lui être alloué.

En effet, la loi prévoit que le notaire doit mettre dans le lot de l’héritier, la dette qu’il a contracté avec le défunt.

C’est une forme de compensation légale qui permet d’éviter qu’un héritier débiteur du défunt, non seulement bénéficie d’une partie de l’actif de la succession après partage, mais en outre ne rembourse pas ses cohéritiers de sa dette, ce qui les contraindrait à engager une procédure judiciaire en recouvrement, avec les aléas de son exécution.

En effet, afin d’assurer l’égalité effective du partage en plaçant les cohéritiers du débiteur à l’abri du risque d’insolvabilité de celui-ci, le notaire doit allouer à l’héritier la créance que le défunt détenait contre lui, si l’héritier a décidé de ne pas rembourser volontairement le défunt, avant le partage.

Tout cela se comprend bien, les héritiers étant souvent liés par des liens de parenté et potentiellement par des liens d’affection envers un même auteur qui les empêcheraient d’agir en justice, l’un contre l’autre.

Deuxième raison : ce mode de compensation ne peut s’envisager qu’au terme des opérations complexes de comptes, liquidation et partage du patrimoine de la succession.

Dès lors, il n’est pas anormal que le législateur ait prévu la suspension de l’exigibilité des créances de la succession.

Si le créancier de la succession qui peut agir dès le décès contre l’indivision successorale sans attendre l’acte de liquidation de la succession, en revanche, les héritiers créanciers ne peuvent agir contre le débiteur qu’une fois le partage réalisé et s’ils se voient allouer la créance dans leur lot.

Il y a certes une différence de traitement, non sur le délai d’action de cinq ans pour agir en recouvrement qui est bien le même que vous soyez débiteur ou créancier du défunt, mais sur le point de départ du délai de cinq ans : à compter du décès, pour le créancier du défunt, ou à compter du partage pour l’héritier qui se retrouve créancier du débiteur du défunt.

Ainsi, jusqu’au partage, il est donc normal que les héritiers bénéficient de la suspension de l’exigibilité de la créance du défunt, pour savoir si cette créance sera payée avant le partage et si, à défaut, elle sera dévolue à l’héritier qui pourra alors agir en justice afin de la recouvrer, qu’à compter du partage, dans un délai de cinq ans.

Si le créancier du défunt n’a pas à attendre le partage, pouvant agir dès le décès à l’encontre de l’actif de la succession, l’héritier créancier ne peut agir contre le débiteur du défunt qu’à partir du moment où il se sait créancier, c’est-à-dire au jour du partage.

Contrairement à ce que soutenait la partie adverse, il n’y a donc pas rupture d’égalité devant la loi.

Ainsi, le débiteur de la succession peut être poursuivi en paiement pendant cinq ans à compter du partage, sur le fondement des dispositions des articles 864 et 865 du Code civil (Civ. 1ère, 28 avril 1986, n°84-16.820).

Attention, la créance sur la succession, née après le décès, se prescrit également après cinq ans à compter du partage qui met fin à l’indivision successorale.

En revanche, les dettes contractées par le défunt, par définition de son vivant, se prescrivent cinq ans après son décès, en vertu des dispositions de l’article 2224 du Code civil, qui édictent la prescription de droit commun (Civ. 1ère, 28 mars 2018, n°17-14.104).

Ce sont ces principes que la Cour de cassation vient de rappeler en rejetant la demande de transmission au Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (Civ. 1ère, 24 janv. 2024, n°23-40.015).

Dans cette espèce, la veuve soutenait être créancière de son défunt mari, mais a attendu plus de cinq ans après son décès pour demander son dû aux héritiers ; la prescription de sa demande lui a été opposée en vertu de ces principes en la matière, et elle n’a donc pas pu obtenir le règlement de sa créance dès lors éteinte.

En revanche, si elle avait été débitrice de son défunt mari, les héritiers de ce dernier auraient pu poursuivre le recouvrement de la créance, cinq ans après le partage.