Le jardin privatif en copropriété est perçu aujourd’hui comme un attribut précieux dans le cadre de l’habitat collectif. En copropriété, notamment dans les zones urbaines où l’espace extérieur se raréfie, il constitue un véritable critère d’achat (ou de location) et un facteur important de valorisation. Selon un baromètre QUALITEL 2022, 59% des acquéreurs interrogés considèrent la présence d’un espace extérieur comme un critère non négociable.
Toutefois, derrière cette valeur sentimentale et patrimoniale se cache une réalité juridique complexe. Le jardin, dans une copropriété, oscille entre droit individuel et droit collectif. Il s’agit d’un espace souvent source de conflits, car ses règles d’usage, d’entretien et d’aménagement dépendent fortement de sa qualification juridique précise. Cette qualification en droit de la copropriété peut être multiple : jardin partie privative, jardin partie commune à jouissance privative, ou jardin partie commune simple.
Éclairer ces distinctions, comprendre le rôle fondamental des documents constitutifs de la copropriété (règlement de copropriété, état descriptif de division) et analyser les dernières évolutions législatives et jurisprudentielles sont essentiels pour sécuriser les droits des copropriétaires et prévenir les litiges.
I. La qualification juridique du jardin privatif en copropriété
1. Jardin en copropriété : absence de définition légale et présomptions
La loi fondamentale de la copropriété du 10 juillet 1965 ne définit pas le « jardin » en tant que tel. Cependant, son article 3 dispose que, en l’absence de mentions contraires, les jardins sont présumés être des parties communes au même titre que le sol, les cours et les parcs. Cette présomption peut être renversée par des dispositions expresses dans le règlement de copropriété.
Il revient donc au règlement, qui fait office d’acte constitutif, d’établir clairement la qualité juridique d’un jardin. L’état descriptif de division, quant à lui, précise son emplacement et sa distribution entre les lots.
2. Trois qualifications principales
a. Jardin partie commune simple : usage collectif en copropriété
Lorsque le jardin est laissé en partie commune simple, il est accessible à l’ensemble des copropriétaires. Son entretien est assuré par le syndicat des copropriétaires, avec une répartition des charges selon les tantièmes définis à l’article 10 de la loi de 1965.
Ce statut est naturellement le plus contraignant quant à l’usage individuel, car aucune exclusivité n’est reconnue. Et bien souvent, les occupants d’appartement en rez-de-chaussée s’autorisent à clore un périmètre devant leur logement pour s’approprier une jouissance privative d’une partie du jardin collectif, ce qui est illicite.
b. Jardin à jouissance privative en copropriété : un droit hybride
Ce droit hybride a été précisé par la loi ELAN (2018) à l’article 6-3 de la loi de 1965. Il s’agit d’une superposition : une propriété collective d’une part et un droit exclusif d’usage perpétuel attaché à un lot d’autre part. Ce droit de jouissance privative doit impérativement être mentionné dans le règlement de copropriété (article 6-4) sous peine d’entraîner la nécessité d’une régularisation.
À la suite de la loi 3DS de février 2022, pour les copropriétés créées avant le 1ᵉʳ juillet 2022, la régularisation peut se faire par une décision à la majorité simple (article 24), votée en assemblée générale sur cette question inscrite à l’ordre du jour de façon obligatoire jusqu’à régularisation.
Le titulaire d’un droit de jouissance conserve la maîtrise de l’usage exclusif, mais la propriété du sol et des structures reste collective. Par exemple, un copropriétaire peut avoir la jouissance privative d’un jardin, mais ne pas être propriétaire du terrain.
c. Jardin partie privative en copropriété : droits exclusifs
L’article 2 de la loi de 1965 prévoit que les parcelles de terrain peuvent être directement intégrées en tant que parties privatives d’un lot. Ainsi, un jardin, s’il est expressément inclus dans la partie privative du lot avec attribution de tantièmes et publicité foncière conforme, appartient exclusivement au copropriétaire du lot.
La jurisprudence (Cour d’appel de Paris, 22 novembre 2001) confirme que le jardin ainsi défini ne doit pas être confondu avec le sol commun, la nature juridique dépendant exclusivement des actes constitutifs.
3. Conflits entre état descriptif et règlement
Des divergences peuvent exister entre l’état descriptif et le règlement. En principe, le règlement de copropriété prévaut en vertu de la loi, mais la jurisprudence admet parfois que l’état descriptif précise ou complète le règlement, notamment quand les deux documents ne sont pas contradictoires de façon évidente.
Pour prévenir les incertitudes, il est conseillé de procéder à une décision d’assemblée générale à la majorité simple (article 24) pour clarifier la qualification du jardin par un modificatif au règlement, qui peut être acté par voie notariée.
II. Usage, entretien et aménagements d’un jardin privatif en copropriété
1. Cadre légal général : limites du droit de propriété et troubles de voisinage
Il ressort de la combinaison des articles 544 et 651 du Code civil que le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.
Ce principe est régulièrement rappelé par la Cour de cassation, notamment :
- « Mais attendu que le droit de propriété, tel que défini par l’article 544 du Code civil et protégé par l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est limité par le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui aucun trouble anormal de voisinage ; que cette restriction ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit protégé par la Convention précitée » (Civ. 2ᵉ, 23 oct. 2003, n°02-16.303)
- « Sur le moyen unique : Vu le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage » (Civ. 3ᵉ, 11 avril 2019, n°18-13.928)
- L’exercice, même légitime, du droit de propriété peut devenir générateur de responsabilités lorsque le trouble qui en résulte pour autrui dépasse la mesure des obligations ordinaires du voisinage (Civ. 3ᵉ, 6 déc. 2005, n°04-17715).
2. Sur le trouble de jouissance et la perte d’ensoleillement et de luminosité
Le propriétaire d’un arbre ou d’une haie dont les branches ou racines avancent sur le fonds du voisin peut voir sa responsabilité engagée sur le fondement des troubles anormaux du voisinage (articles 1240 et 1241 du Code civil). La jurisprudence constante indique que le voisin subit un trouble de jouissance dès lors qu’il ne peut jouir de sa propriété en raison du dépassement prolongé des branches (Civ. 3ᵉ, 19 juin 2002, pourvoi n°00-22.116).
Ce préjudice est aggravé par la résistance prolongée du voisin à élaguer les branches (Cour d’appel, Angers, 29 janvier 2013 ; Cour d’appel, Rouen, 20 novembre 2007).
La perte d’ensoleillement et de luminosité causée par des arbres ne respectant pas la hauteur légale constitue aussi un trouble anormal du voisinage, confirmé par la Cour de cassation (Civ. 3ᵉ, 4 févr. 2009, n°07-20.556 ; 14 janv. 2004, n°02-18.564) :
« Ces troubles s’aggravaient avec le temps et les voisins avaient justifié de leur préjudice lié à la proximité et au caractère anormalement envahissant des arbres litigieux… perte de luminosité et d’ensoleillement … »
3. Spécificités selon le statut du jardin
a. Jardin à jouissance privative
Le syndicat des copropriétaires conserve ses droits et devoirs notamment en matière d’entretien et de conservation. Des décisions d’assemblée générale et jurisprudence récente confirment que l’entretien de certains éléments (haies, arbres) incombe au titulaire du droit, mais ne saurait exonérer le syndicat de ses obligations essentielles. Toute modification substantielle des conditions d’usage nécessite un accord express et un vote à la majorité renforcée.
b. Jardin partie privative
Le propriétaire assume l’intégralité des charges d’entretien et réparation, mais ne peut s’opposer à des travaux collectifs régulièrement votés qui impacteraient son jardin privatif.
Aménagements, travaux et abattage d’arbres
Tout projet d’aménagement affectant l’aspect extérieur (pergola, abri, clôture, piscine, cabanon) requiert une autorisation préalable en assemblée générale (article 25 b). Une clause autorisant systématiquement les aménagements sans vote est réputée non écrite.
Pour l’abattage d’un arbre dépendant d’un jardin privatif, il est essentiel de recueillir l’accord de la copropriété via une décision d’assemblée générale et de déposer une demande préalable de travaux. L’abattage doit prévoir le remplacement de l’arbre en respectant les espèces locales adaptées au cadre environnant, afin de préserver l’équilibre écologique et esthétique du lieu. Ces règles protègent le cadre de vie collectif et préviennent les conflits.
Le syndicat ou un copropriétaire, peut actionner la justice pour exiger la remise en état dans un délai de cinq ans, selon l’article 42 de la loi ELAN.
Un jardin privatif en copropriété peut vite devenir source de conflit
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Conseils pratiques
- Veiller à la cohérence et clarté entre le règlement et l’état descriptif de division sur la qualification du jardin. La copropriété pourra y interdire d’y faire sécher aux yeux de tous du linge ou d’utiliser le jardin pour y faire des barbecues ou autres utilisations pouvant générer des nuisances visuelles, sonores ou olfactives.
- Annexer des plans précis délimitant le jardin privatif ou la zone à jouissance privative, au besoin en faisant établir un procès-verbal de bornage.
- Proposer la régularisation en assemblée générale dès qu’une ambiguïté est constatée, par modificatif de règlement avec acte notarié.
- Préciser dans le règlement les modalités d’usage, d’entretien, les restrictions légitimes (horaires, types de plantations, installations interdites comme les barbecues dans certains cas).
- Informer clairement les futurs acquéreurs des droits, contraintes et obligations liés au jardin pour éviter les conflits post-acquisition.
- Lors de travaux, respecter les procédures d’autorisation et soumettre les projets à l’approbation formelle de l’assemblée générale pour éviter les sanctions et litiges.
Conclusion : bien gérer un jardin privatif en copropriété pour éviter les litiges
Le jardin « privatif » en copropriété est un espace convoité, mais juridiquement complexe, oscillant entre droits exclusifs et devoirs collectifs. Les lois ELAN et 3DS, la jurisprudence récente, et les contraintes liées aux troubles anormaux de voisinage rappellent que la jouissance du jardin doit se concilier avec la tranquillité et les droits des autres copropriétaires. Une gestion claire, concertée et respectueuse des règles permet de garantir la pérennité et le bien-être de tous dans ces espaces extérieurs partagés ou individualisés.
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