Le licenciement lié à une relation sentimentale au travail soulève régulièrement la question de sa légitimité devant les juges. Dans un arrêt du 4 juin 2025 (pourvoi n°24-14.509), la Cour de cassation rappelle que le licenciement d’un salarié motivé par sa vie sentimentale constitue une atteinte à une liberté fondamentale et doit donc être déclaré nul.
Cadre juridique de l’article L.1235-3-1
L’article L.1235-3-1 du Code du travail dispose que le licenciement d’un salarié ne peut notamment pas se fonder sur une violation d’une liberté fondamentale. L’une de ces libertés est le droit à la vie privée et à l’intimité.
Pour autant, un employeur peut-il licencier un(e) salarié(e) qui entretiendrait une relation sentimentale avec un(e) autre salarié(e) ?
L’article L.1235-3-1 du Code du travail prévoit que, lorsque le licenciement est entaché d’une des nullités visées (violation d’une liberté fondamentale, discrimination, harcèlement…), le juge doit octroyer au salarié une indemnité d’au moins six mois de salaire lorsque la réintégration du salarié n’est pas possible ou n’est pas demandée. Cette règle se distingue du régime de l’article L.1235-3 qui s’applique aux licenciements sans cause réelle et sérieuse, pour lesquels l’indemnité est fixée selon une grille de référence.
Nullité du licenciement pour relation sentimentale : apport de l’arrêt du 4 juin 2025
L’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation (Soc., 4 juin 2025, n°24-14.509) vient préciser le champ d’application et la portée de l’article L.1235-3-1. La Cour de cassation rappelle qu’un licenciement en raison d’une relation sentimentale entre deux membres du personnel est nul pour violation d’une liberté fondamentale.
En l’espèce, « la véritable cause du licenciement était la découverte, le 28 mars 2019, par l’épouse du président de la société, elle-même directrice générale de celle-ci, de la liaison qu’entretenait son mari avec la salariée depuis plusieurs mois et l’ultimatum qu’elle lui avait posé de la licencier immédiatement, ce dont elle aurait dû déduire que le licenciement était fondé sur un fait relevant de l’intimité de la vie privée de la salariée, de sorte qu’il était atteint de nullité ».
Evidemment, cette jurisprudence est d’actualité quand on lit dans la presse que tel ou tel patron ou directeur se fait licencier pour avoir entretenu une relation sentimentale avec un membre du personnel.
Jurisprudence sur la protection de la vie privée et des libertés fondamentales
La jurisprudence antérieure reconnaît, de façon constante, la nullité des licenciements prononcés pour des motifs discriminatoires ou pour atteinte aux libertés fondamentales. La Cour s’appuie notamment :
- Sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), consacré au respect de la vie privée et familiale.
- Sur l’article 9 du Code civil relatif à la protection de la vie privée.
- Sur l’article L.1121-1 du Code du travail, qui subordonne les restrictions imposées aux droits et libertés des salariés à leur justification par la nature de la tâche à accomplir et à leur proportionnalité au but recherché.
La Cour de cassation avait déjà sanctionné des licenciements abusifs portant atteinte à la vie privée, notamment dans des arrêts où les faits reprochés relevaient de la sphère personnelle sans incidence sur le travail (Soc., 3 juin 2009, n°07-44.247 ; Soc., 18 mai 2022, n°20-19524).
Conséquences pratiques pour le salarié licencié pour une relation sentimentale
La principale innovation de cet arrêt réside dans l’affirmation claire que le juge doit caractériser la nullité du licenciement lorsque l’atteinte à une liberté fondamentale est avérée et, en application de l’article L.1235-3-1, fixer une indemnité minimale de six mois de salaire, sauf réintégration du salarié. Ce régime protecteur profite au salarié, qui n’a plus à prouver l’existence d’un préjudice spécifique : la simple violation du principe de respect de la vie privée suffit.
Cette position s’inscrit dans le prolongement d’autres arrêts récents :
- Soc., 29 janv. 2025, qui rappelle que l’octroi de l’indemnité prévue par l’article L.1235-3 du Code du travail s’impose sans démonstration d’un préjudice.
- Soc., 27 mai 2025, qui précise que l’article L.1235-3 du Code du travail n’est pas applicable lorsque le licenciement est entaché d’une nullité visée par l’article L.1235-3-1 du même code.
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Portée et limites de la protection de la vie privée au travail
L’arrêt du 4 juin 2025 confirme l’élargissement du contrôle judiciaire sur l’employeur, en l’obligeant à justifier toute mesure de rupture, même en présence de faits tirés de la vie privée, par des impératifs objectifs et proportionnés. Cependant, il ne dispense pas le salarié d’apporter la preuve de la violation de sa liberté fondamentale.
Des limites persistent toutefois :
- La nullité n’est acquise que si la rupture repose exclusivement sur un motif protégé.
- La jurisprudence distingue les atteintes à la vie privée sans impact sur la sphère professionnelle des comportements de la vie privée ayant des répercussions directes sur la bonne marche de l’entreprise, lesquels peuvent, dans certaines circonstances, justifier un licenciement (Soc., 27 juin 2012, n°11-18.659).
Un règlement intérieur ou un code de bonne conduite ne peuvent pas interdire de façon générale une relation sentimentale entre deux membres du personnel d’une entreprise.
Toute clause ou disposition du règlement intérieur interdisant les relations sentimentales est donc considérée comme nulle et illicite. De même, un licenciement d’un salarié sanctionnant une relation sentimentale qu’il entretiendrait avec un membre d’une entreprise concurrente serait tout autant illicite.
Mais l’employeur n’est pas totalement démuni face aux conséquences de ces relations. Si la relation sentimentale provoque un désordre caractérisé dans l’entreprise (conflits, désorganisation, favoritisme flagrant, ébats amoureux ou sexuels sur le lieu de travail, perte de productivité…), alors il est possible de sanctionner les salariés concernés, mais ce n’est pas la relation elle-même qui justifie la sanction : c’est le trouble causé à l’ordre ou au fonctionnement de l’entreprise. La jurisprudence prévoit notamment que le licenciement n’est justifié que si le comportement des salariés trouble réellement le fonctionnement de l’entreprise. En revanche, des clauses imposant le célibat ou interdisant explicitement les relations amoureuses ont été déclarées nulles par la Cour de cassation.
Cas particuliers : hiérarchie, harcèlement et conflits d’intérêts
Les relations impliquant un lien hiérarchique (supérieur/subordonné) peuvent faire l’objet d’une attention particulière pour éviter les conflits d’intérêts ou les risques de favoritisme ou harcèlement.
Sur ce point, il faut être très vigilant. En effet, lorsque la relation n’est plus consentie de part et d’autre, celui ou celle qui refuse la poursuite de la relation pourrait invoquer un harcèlement moral ou sexuel qui pourrait fonder un licenciement. Nous vous renvoyons sur ce sujet à notre article Harcèlements : Jurisprudences récentes.
Quel impact pour les employeurs dans la pratique du licenciement ?
La clarification apportée par l’arrêt du 4 juin 2025 contraint désormais les employeurs à une vigilance accrue lors de l’engagement de procédures de licenciement impliquant des faits relevant de la vie privée ou des libertés fondamentales. Ils doivent s’assurer que les motifs invoqués sont strictement professionnels et justifiés par la nature du poste et l’intérêt de l’entreprise.
Le salarié bénéficie ainsi d’une protection renforcée, indépendamment de son ancienneté ou du motif de la rupture. L’indemnité minimale constitue un gage de réparation et un effet dissuasif contre les licenciements abusifs fondés sur des motifs discriminatoires ou attentatoires aux libertés fondamentales.
Évolutions jurisprudentielles à suivre sur la nullité du licenciement
L’arrêt du 4 juin 2025 s’inscrit dans une dynamique jurisprudentielle visant à garantir les droits fondamentaux des salariés, en cohérence avec les exigences de la CEDH et les évolutions du droit interne. Il prolonge le mouvement déjà amorcé par les arrêts sur le licenciement discriminatoire, le harcèlement moral ou sexuel, et l’engagement syndical protégé (Soc., 11 juin 2025, n°24-13.083).
Des questions persistent sur l’application stricte de ce régime aux autres motifs ou nullités prévues par l’article L.1235-3-1 du Code du travail, notamment dans les hypothèses d’abus de droit procédural ou de dénonciation de crimes et délits.
Synthèse : licenciement, vie privée et libertés fondamentales
En définitive, l’arrêt du 4 juin 2025 constitue un jalon majeur dans la jurisprudence sociale sur la protection des libertés fondamentales du salarié. Il consacre l’invulnérabilité du contrat de travail face aux actes de rupture motivés par des considérations étrangères à la sphère professionnelle et renforce la grille d’indemnisation protectrice instituée par l’article L.1235-3-1 du Code du travail.
Ce renforcement du contrôle judiciaire participe d’une dynamique plus large de protection du salarié, où la prééminence des libertés fondamentales s’impose dans le droit du travail. Pour les praticiens, il invite à une rigueur renforcée dans la motivation des licenciements et à une anticipation des risques juridiques liés à la gestion des relations individuelles de travail.
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