L’arrêt de la Cour de cassation du 27 juin 2025 (n°22-21.146) constitue une évolution majeure dans l’appréciation et la réparation du préjudice lié à la perte de chance en procédure civile française. Il institue une nouvelle obligation pour le juge qui se doit de rechercher l’existence d’une perte de chance, même si la victime a demandé la réparation d’un préjudice à laquelle il ne fait pas droit.
Contexte et faits : la faute du notaire et le rejet de l’indemnisation
La S.C.I. Les Baobabs reprochait à son notaire d’avoir manqué à son devoir d’information concernant des contraintes urbanistiques lors d’un achat immobilier. Ce manquement avait compromis le projet, entraînant divers préjudices financiers (frais, travaux, remboursements, perte d’exploitation). La Cour d’appel a reconnu la faute du notaire, mais a rejeté la demande d’indemnisation, estimant que la société invoquait une réparation intégrale alors que le dommage relevait d’une perte de chance, non expressément invoquée.
La notion de perte de chance : définition, évolution et confirmation jurisprudentielle
La notion de perte de chance est apparue en droit français à la fin du XIXᵉ siècle, par sa consécration jurisprudentielle (Cass. Req. 17 juillet 1889). Pour la première fois, la perte d’une probabilité réelle et sérieuse d’obtenir un avantage ou d’éviter un préjudice est reconnue comme un préjudice réparable. Auparavant, seul le dommage certain était réparé, excluant les dommages purement éventuels.
Cette construction jurisprudentielle vise à dépasser les limites du lien de causalité strict, permettant l’indemnisation d’un préjudice fondé sur une probabilité et non plus uniquement sur une certitude.
Au terme de son arrêt du 27 juin 2025, la Cour de cassation consacre à nouveau la définition classique de la perte de chance : « disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ». Ce préjudice est distinct de l’entier dommage, tout en demeurant dépendant. Sa spécificité réside dans sa réparation proportionnelle à la chance perdue : il ne peut engager la réparation totale du dommage final.
La perte de chance est un préjudice autonome et réparable, mais elle n’ouvre pas la voie à l’indemnisation intégrale du dommage initial.
Sa reconnaissance suppose que la possibilité d’un événement favorable disparaisse de manière certaine et actuelle.
Un office du juge renforcé par l’arrêt du 27 juin 2025
L’apport révolutionnaire de l’arrêt réside dans la reconnaissance du pouvoir du juge face à la perte de chance.
La Cour affirme que le juge peut, sans méconnaître l’objet du litige, rechercher l’existence d’une perte de chance même si la demande portait originellement sur la réparation intégrale d’un préjudice.
Évidemment, si les parties n’ont pas débattu de cette perte de chance, le juge doit les à s’exprimer sur cette qualification, respectant le principe du contradictoire.
Ainsi, le juge ne doit plus refuser d’indemniser une perte de chance constatée, même si la victime n’en a pas demandé explicitement la réparation.
Ce principe s’appuie sur l’article 4 du Code civil (déni de justice) qui impose au juge de statuer sur tout dommage dont il constate l’existence, et pas seulement sur la formulation précise de la demande.
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Conséquences pratiques pour la procédure et les justiciables
L’arrêt du 27 juin 2025 apporte un triple changement pour la pratique judiciaire.
Il consacre tout d’abord une dérogation au principe dispositif, qui veut que le juge ne statue que sur ce qui lui est demandé. Ici, l’effectivité de la réparation supplante la stricte lettre de la demande.
Ensuite, cet arrêt élargit le champ d’intervention du juge et sécurise la réparation des préjudices intermédiaires, évitant aux victimes d’être déboutées sur une question technique de qualification. Avant cet arrêt, si la victime n’avait pas sollicité l’indemnisation de sa perte de chance, à titre subsidiaire, pour le cas où le juge ne faisait pas droit à sa demande d’indemnisation intégrale de son préjudice, la victime se voyait déboutée. Et ne pouvait plus former cette demande en cause d’appel comme constituant alors une nouvelle demande.
Cet arrêt oblige les juges et les parties à débattre de la perte de chance, chaque fois qu’une demande d’indemnisation sera formée.
Portée de l’arrêt du 27 juin 2025 et jurisprudence antérieure
La Cour de cassation puise dans sa jurisprudence précédente (Civ. 3ème, 6 mars 2002, n°00-14.436 ; Civ. 3ème, 22 oct. 2002, n°01-03.301 ; Civ. 2ème, 25 mai 2022, n°20-16.351 ; Com., 15 juin 2022, n°21-14.973).
Dans ces arrêts, la Cour de cassation avait déjà souligné que le juge ne pouvait pas refuser de statuer ou d’évaluer un dommage parce que les preuves étaient insuffisantes ou la demande imprécise. Cependant, l’arrêt du 27 juin 2025 va plus loin : il institue une obligation pour le juge de rechercher et, le cas échéant, de réparer un préjudice de perte de chance, sans qu’il soit spécialement invoqué.
L’arrêt marque ainsi une évolution vers une interprétation pragmatique et protectrice de l’accès au droit à l’indemnisation, éloignant le risque du déni de justice.
Illustration : l’affaire Les Baobabs et la perte de chance
Dans l’affaire Les Baobabs, la Cour de cassation casse partiellement l’arrêt de la Cour d’appel de Limoges, estimant que la perte de chance constatée devait être indemnisée, même si la demande était formulée comme une réparation intégrale. La haute juridiction impose que le juge examine la possibilité d’une réparation proportionnelle à la chance perdue, invitant préalablement les parties à donner leur avis.
La portée de l’arrêt concerne tous les domaines : faute du notaire, avocat, médecin ou autre professionnel où la chance d’éviter le dommage a été annihilée par négligence.
Critiques et perspectives de la décision de la Cour de cassation
Certains auteurs estiment que l’arrêt rompt avec une tradition de neutralité du juge, l’obligeant à intervenir plus activement dans la qualification du préjudice. Ce faisant, l’arrêt pourrait compliquer la tâche du juge, en multipliant les hypothèses de réparation « implicite », mais il assure une meilleure protection du justiciable.
En pratique, les victimes seront moins dépendantes de la parfaite qualification juridique de leur demande. Les avocats pourront fonder leurs actions sur la réparation d’un dommage réel sans craindre le rejet pour cause de « mauvaise qualification ».
Synthèse des apports essentiels de l’arrêt du 27 juin 2025
Ainsi, l’arrêt du 27 juin 2025 clarifie le pouvoir du juge qui peut octroyer une indemnisation de la perte de chance constatée, même non expressément demandée.
La difficulté résidera sur l’appréciation souveraine du juge du fond sur le quantum de la réparation qui restera proportionnelle aux chances perdues, sans qu’elle puisse être intégrale.
La décision du 27 juin 2025 marque donc une étape fondamentale dans la réparation des préjudices civils et dans l’office du juge. Par sa portée, elle renforce et facilite le droit à indemnisation mais rend plus aléatoire le montant de l’indemnisation qui repose sur l’appréciation du juge et non plus sur des données chiffrées.
Conseils pratiques
Cet arrêt sauve la responsabilité de l’avocat qui aurait omis de solliciter l’indemnisation de la perte de chance de la victime, au moins à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le juge n’aurait pas fait droit à l’indemnisation intégrale de son préjudice.
Mais l’avocat va être tenu de chiffrer la perte de chance, et cet exercice sera difficile et aléatoire ; le juge du fond, c’est-à-dire de première instance ou d’appel, ayant seul le pouvoir d’apprécier l’indemnisation de la perte de chance, sans contrôle du montant par la Cour de cassation.
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