Le Décret n°2025-660 du 18 juillet 2025 constitue la cinquième grande réforme d’ampleur de la procédure civile depuis 2012, entrant en vigueur le 1er septembre 2025. Adopté dans l’objectif de renforcer la place des modes amiables de règlement des différends (MARD) et de rationaliser l’instruction des affaires civiles, il opère un véritable « changement de paradigme » en consacrant l’instruction conventionnelle comme principe directeur et en clarifiant les conditions et modalités de recours à la conciliation, la médiation et aux conventions de procédure participative.
1. Présentation et objectifs de la réforme de la procédure civile
Ce texte, qui s’inscrit dans la continuité des réformes de la procédure depuis les années 1970, poursuit essentiellement deux objectifs :
- Renforcer l’amiable comme mode de règlement principal des litiges civils, au détriment du contentieux strictement judiciaire.
- Structurer, clarifier et regrouper les dispositifs procéduraux relatifs à l’instruction conventionnelle — par opposition à l’instruction judiciaire encadrée strictement par le juge.
2. Les grandes lignes du décret n°2025-660 sur la procédure civile
2.1. L’instruction conventionnelle érigée en principe
- La mise en état conventionnelle devient désormais le droit commun.
Cela signifie que les parties, assistées par leurs avocats, doivent librement organiser l’instruction de l’affaire jusqu’au jugement, dès lors qu’il existe un accord, soit par une convention de procédure participative (CPPME), soit par une convention simplifiée.
La différence essentielle entre la convention de procédure participative (CPP ou CPPME) et la convention de procédure simplifiée réside dans leur formalisme, leur champ de recours et leur mode de conclusion.
Convention de procédure participative (CPPME)
Formalisme renforcé : Elle doit impérativement être conclue par un acte d’avocat, c’est-à-dire être signée à la fois par les parties et leurs avocats (article 2062 et suivants du Code civil).
Obligation d’être assisté par avocat : L’assistance par avocat est obligatoire pour chacune des parties ; cette convention relève du « monopole » des avocats.
Encadrement juridique : Le contenu de la convention est strictement encadré (identification des parties et des avocats, terme, objet du différend, documents à échanger, calendrier d’instruction).
Effet juridique : Tant qu’elle est en cours, la saisine du juge pour trancher le litige est irrecevable (sauf cas d’urgence).
Objectif : Elle permet d’organiser l’instruction du dossier de façon conventionnelle ou de rechercher une résolution amiable.
Homologation ou poursuite judiciaire possible : À l’issue, l’accord trouvé peut être homologué par le juge ou, à défaut, il est possible de saisir le tribunal.
Convention de procédure simplifiée
Formalisme allégé : Elle peut être conclue sans acte d’avocat, directement entre avocats, entre une partie non représentée et un avocat, ou même entre les parties elles-mêmes lorsque la représentation n’est pas obligatoire.
Souplesse de la rédaction : Pas d’exigence de signature des parties ; la convention peut être simplement constatée par écrit ou produite par conclusions concordantes au juge.
Champ d’application : Plutôt adaptée aux dossiers où la représentation n’est pas obligatoire, ou lorsque les parties souhaitent organiser librement la mise en état sans rigueur formelle.
Modalité d’intervention du juge : Une fois que l’affaire est en état d’être jugée selon la convention, le juge est informé et fixe alors la date de plaidoirie.
Objectif : Faciliter la collaboration des parties pour préparer l’affaire au jugement, sans contrainte procédurale lourde, en dehors du strict encadrement de l’acte d’avocat.
Tableau comparatif
Convention participative (CPPME) | Convention simplifiée | |
Acte d’avocat obligatoire ? | Oui | Non |
Parties non représentées possibles ? | Non | Oui |
Niveau de formalisme | Élevé, structuré | Allégé, souple |
Rôle de l’avocat | Représentation exclusive obligatoire | Recommandé, mais non obligatoire |
Information du juge | Dès la signature, fixation immédiate d’audience de plaidoirie | Après l’instruction, le juge fixe l’audience |
Public cible | Dossiers complexes ou enjeux importants | Dossiers simples ou à faible enjeu |
En résumé : la CPPME implique un acte d’avocat et un formalisme fort pour organiser la préparation de l’affaire ou sa résolution amiable, alors que la convention simplifiée permet une mise en état libre et rapide sans formalités particulières, adaptée aux situations plus simples ou moins contentieuses.
A défaut de parvenir à un accord sur la convention de procédure, le dossier est renvoyé devant le Juge de la Mise en Etat (JME)
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- Ainsi, la mise en état sous la supervision du juge (JME) devient, à l’inverse, l’exception, réservée aux seuls dossiers où la coopération des parties est impossible ou a échoué.
- Les affaires instruites conventionnellement bénéficieront d’un audiencement prioritaire : le tribunal devra fixer une date de plaidoirie dès la réception de la convention.
- La désignation de techniciens conventionnels (experts ou consultants) est clarifiée, les parties pouvant choisir ensemble un tiers pour éclairer un point technique.
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Les parties au procès peuvent désormais, dans le cadre d’une instruction conventionnelle, désigner d’un commun accord un technicien (expert, consultant, etc.) pour éclairer une question technique liée à leur différend.
Cette désignation peut intervenir à trois moments :
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- Pendant une instruction conventionnelle (mise en état organisée entre les parties)
- Pendant une instruction judiciaire
- En dehors de toute saisine du juge (avant le procès), comme sorte d’équivalent conventionnel de la procédure de l’article 145 du Code de procédure civile.
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Les parties déterminent librement :
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- le choix du technicien : c’est sans doute la difficulté majeure. Autant le médiateur est désigné par le Juge de la Mise en Etat, en concertation parfois avec les avocats, autant la désignation commune de l’expert par les avocats sera parfois difficile, chaque partie voulant s’assurer que l’expert ira dans son sens, alors que tel n’a pas ce rôle le médiateur impartial,
- sa mission,
- sa rémunération (prise en charge selon modalités convenues entre elles).
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Le technicien doit révéler toute circonstance pouvant affecter son indépendance et son impartialité, et intervenir avec diligence et impartialité, dans le respect du contradictoire.
Fonction complémentaire de conciliation
Une avancée importante : le technicien peut désormais, explicitement, concilier les parties (ce qui était interdit auparavant).
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- Soit les parties décident qu’il leur servira aussi de médiateur, si ses qualifications le permettent,
- Soit il leur suggère des solutions, aboutissant éventuellement à un accord à homologuer,
- Soit il conduit une conciliation informelle dans le cadre de son expertise.
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Si l’expert est aussi désigné médiateur, il doit respecter les règles de la médiation conventionnelle ou judiciaire selon la situation.
Rôle du juge d’appui
En cas de difficulté (désignation, maintien, exécution de la mission, transmission des pièces, rémunération), un juge d’appui peut être saisi à la demande de la partie la plus diligente ou du technicien lui-même.
Ce juge pourra désigner un technicien si les parties n’y arrivent pas, trancher les différends sur le maintien, ordonner la transmission de documents, ou décider d’un remplacement.
Force probante du rapport
Le rapport du technicien, s’il est issu d’une convention conclue entre avocats, acquiert une force probante renforcée : il s’impose aux parties sauf si elles prouvent son inexactitude.
Autres modalités
Les parties peuvent modifier la mission ou en confier une complémentaire à un autre technicien en cours de procédure, avec l’accord de tous.
La révocation du technicien requiert leur consentement unanime, sauf intervention du juge d’appui en cas de désaccord.
Des tiers peuvent être associés à la mission technique, sous réserve de l’accord des parties et du technicien.
En synthèse, la réforme incite et sécurise le recours à l’expertise amiable : elle rappelle la liberté conventionnelle, ouvre la possibilité de conciliation par le technicien et instaure de multiples garanties (juge d’appui, indépendance, force probante du rapport).
2.2. Les modes amiables judiciaires et le rôle du juge
Redéfinition de la mission du juge : l’article 21 du Code de procédure civile dispose désormais qu’« il entre dans la mission du juge de concilier les parties et de déterminer avec elles le mode de résolution du litige le plus adapté ».
Le juge n’est plus seulement arbitre du litige, mais devient un « chef d’orchestre » de la recherche d’une solution, qu’elle soit amiable ou contentieuse.
À tout moment de la procédure, il peut proposer, voire imposer, aux parties une audience de règlement amiable, ou la désignation d’un médiateur ou conciliateur.
L’audience de règlement amiable pourra être organisée devant un autre juge que celui de l’instruction.
Nouveauté procédurale : la décision d’orienter l’affaire vers l’amiable interrompt le délai de péremption de l’instance, favorisant une négociation sereine.
2.3. Confidentialité, impartialité et droits des parties
Respect strict de la confidentialité : tous les échanges et documents élaborés lors d’une médiation ou d’une conciliation restent confidentiels (hors pièces produites par les parties elles-mêmes, qui pourront être utilisées si l’amiable échoue).
Obligation d’impartialité et compétence pour les tiers intervenants (médiateurs, conciliateurs).
Libre disposition des droits : seuls les droits dont les parties disposent librement peuvent faire l’objet d’un accord amiable (exclusion des litiges relevant de l’ordre public — ex : état civil, droit pénal).
2.4. Délais procéduraux et encadrement dans la nouvelle procédure civile
Prolongation des délais pour la conciliation et la médiation : la mission confiée à un conciliateur ou à un médiateur peut désormais durer 5 mois, avec possibilité de prolongation de 3 mois supplémentaires si besoin.
2.5. Innovations notables de la réforme de la justice civile
- Ordonnances “à double détente” : il est consacré que le juge peut, par une même décision, enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur tout en fixant parallèlement un calendrier pour la reprise éventuelle du processus contentieux, si l’amiable échoue.
- Architecture claire et structurée du décret : 27 articles répartis en 6 chapitres, opérant notamment une refonte complète du Livre V du Code de procédure civile pour y inscrire la priorité donnée à l’amiable et à la coopération entre parties et juge.
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3. Conséquences pratiques de la réforme 2025 pour magistrats et justiciables
3.1. Nouveaux rôles des magistrats et greffiers dans la procédure civile
Révolution de l’office du juge civil, qui doit dorénavant activement promouvoir le règlement amiable.
Il leur revient de déterminer, en dialogue avec les parties et leurs conseils, si le différend doit aller à la négociation ou au procès, et d’organiser l’audience amiable le cas échéant.
3.2. Impacts de la réforme de la procédure civile pour les avocats
Les avocats, au-delà de la défense du contentieux, deviennent parties prenantes de la démarche amiable, négociateurs, facilitateurs et conseillers stratégiques dans le choix du mode de règlement le plus pertinent.
Cette réforme prône l’accord des parties sur la convention de mise en état, l’expertise le cas échéant et même le règlement amiable du litige, en plaçant le Juge de la Mise en Etat en recours.
Si les parties saisissent une juridiction, c’est bien qu’elles ne sont pas parvenues à s’entendre. Leur demander de s’entendre sur la convention de mise en état, sans encadrement de délai, est peut-être un regret de la réforme, encore qu’elle prévoie, en cas d’accord, la fixation prioritaire de l’affaire pour être plaidée en cas d’échec de la médiation. La fixation prioritaire de l’audience de plaidoiries en cas d’accord sur la convention de procédure est certes incitative, mais en pratique, aucun raccourcissement des délais de procédure ne peut sérieusement être envisagé.
Notre Cabinet qui pratique depuis plus de dix ans les modes alternatifs de règlement des différends, regrette l’allongement de la durée de la médiation. Sa durée initiale de 3 mois permettait plus facilement de convaincre une partie d’y recourir.
L’allongement à 5 mois renouvelable pour 3 mois peut dissuader de recourir à la médiation, mais les parties y sont dorénavant contraintes. En d’autres termes, cette réformer devrait retarder l’issue du procès de près d’une année, si les parties ne marquent pas d’emblée leur volonté de parvenir à un accord, ou si la médiation est prolongée contre l’avis d’une des parties.
En d’autres termes, cette réforme va encore allonger les délais de procédure et renvoyer les affaires les plus contentieuses aux calandres grecques, en priorisant les affaires les plus faciles à régler.
4. Ce que le décret ne modifie pas
- Les matières exclues de l’amiable (tous litiges liés à l’ordre public) restent soumises à la stricte logique judiciaire.
- Les Conseils de prud’hommes demeurent régis par leurs propres règles. La médiation aurait pu faire son entrée dans la procédure prud’homale déjà munie d’une procédure obligatoire de conciliation.
5. Entrée en vigueur de la réforme le 1er septembre 2025
- Le décret entre en vigueur le 1er septembre 2025 pour toutes les instances en cours, sauf en ce qui concerne les conventions de mise en état, applicables uniquement aux procédures introduites à compter de cette date. Là encore, on peut regretter qu’un décret de cette importance soit publié en plein mois de juillet pour une entrée en vigueur un 1er septembre.
En conclusion, le Décret n°2025-660 du 18 juillet 2025 représente une évolution majeure du procès civil français, accentuant la priorité donnée à l’amiable, la souplesse conventionnelle et la co-construction de la solution. Il consacre une approche moderne de la justice où la coopération prime sur l’affrontement, ouvrant la voie à une résolution des litiges plus efficace, consensuelle et en phase avec les attentes contemporaines des justiciables et des praticiens du droit.
Conclusion et conseils pratiques sur la réforme de la procédure civile
La convention de mise en état devra être rédigée de manière objective pour avoir des chances d’être signée par les deux parties et leurs avocats respectifs. Autant dire qu’il ne faudra pas être trop imaginatif, alors que cette convention aurait pu permettre de s’affranchir des règles classiques de procédure civile.
Assurez-vous, pas dès le début de la médiation, mais assez rapidement, de la réelle volonté de l’autre partie de parvenir à un règlement amiable. A défaut, il n’est pas utile de poursuivre la médiation, comme bien souvent les médiateurs vous y invitent.
Nous regrettons que la réforme n’ait pas évoqué la prise en charge du coût de la médiation ou sa répartition en cas de constat d’accord. Le coût de la médiation est souvent un frein à son recours, qui devient obligatoire par l’intermédiaire du Juge de la Mise en État qui devrait pouvoir répartir le coût entre les parties, pour tenir compte de leurs conditions financières respectives.
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