Le droit de se taire lors de l’entretien préalable au licenciement fait débat. Que peut réellement faire le salarié ? Cet article explique les garanties, les délais, l’assistance possible, et surtout ce que change (ou non) la décision du Conseil constitutionnel du 19 septembre 2025.
Petits rappels des droits et garanties du salarié
La convocation à l’entretien préalable
Nous avons déjà vu dans un précédent article comment bien préparer un entretien préalable. Nous rappelons que l’employeur est tenu de convoquer le salarié par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise en main propre contre-décharge.
La convocation doit mentionner précisément l’objet de l’entretien, la date, l’heure et le lieu ainsi que le nom de la personne qui mènera l’entretien préalable.
Cette convocation doit être adressée au moins 5 jours ouvrables avant la date de l’entretien, ce délai étant impératif pour permettre au salarié de se préparer sereinement.
Le droit à l’assistance du salarié
Le salarié a le droit de se faire assister pendant l’entretien par une personne de son choix. Si l’entreprise dispose de représentants du personnel (délégués syndicaux, représentants du CSE), le salarié pourra être assisté par l’une de ces personnes.
En l’absence de représentants, le salarié peut être aidé par un conseiller extérieur, figurant sur une liste officielle tenue à disposition à la mairie du siège de l’entreprise ou de l’établissement dont dépend le salarié ou à l’inspection du travail.
Le déroulement de l’entretien préalable
L’entretien préalable est un échange qui vise à entendre les explications du salarié et à l’informer des motifs du licenciement. Le salarié peut apporter des observations, demander des explications et réfuter les reproches.
L’assistant peut également prendre des notes ou rédiger un compte-rendu de l’entretien, mais n’a pas à répondre à la place du salarié. Il ne peut le représenter en l’absence du salarié.
Le droit du salarié à ne pas être sanctionné
Le salarié ne peut être sanctionné ni subir de perte de rémunération du fait de sa participation à l’entretien préalable.
L’employeur ne peut pas le contraindre à se taire, ni à reconnaitre les faits qui lui sont reprochés, ni pénaliser son silence, même si, contrairement au droit pénal, il n’y a pas d’obligation légale d’informer le salarié de son droit de garder le silence.
Les délais après l’entretien
Après l’entretien, l’employeur doit respecter un délai d’au moins deux jours ouvrables avant de notifier tout licenciement, délai destiné à la réflexion.
En résumé, l’entretien préalable est un droit essentiel du salarié lui permettant de se défendre avant toute décision de licenciement. Il bénéficie d’une convocation claire avec un délai de préparation, peut se faire assister, intervenir lors de l’entretien, et ne peut être pénalisé pour sa participation ou son silence.
Comment comprendre la décision du Conseil constitutionnel n°2025-1160/1161/1162 QPC du 19 septembre 2025
Contexte et portée de la QPC
Cette décision statue sur trois questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la conformité des articles L.1232-3 et L.1332-2 du Code du travail à la Constitution de 1958 au regard du droit de se taire du salarié qui ne lui est pas obligatoirement rappelé ni reconnu comme tel lors de l’entretien préalable à un licenciement pour motif personnel ou à une sanction disciplinaire.
La question posée au Conseil
Il était ainsi demandé au Conseil Constitutionnel de dire si les dispositions du Code du travail n’étaient pas anticonstitutionnelles dès lors qu’elles n’imposaient aucune obligation à l’employeur de notifier au salarié le droit de garder le silence.
Les principes constitutionnels invoqués
L’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 consacre le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser soi-même. C’est un principe fondamental en droit pénal reconnu par le Conseil Constitutionnel comme le droit de ne pas s’incriminer (notamment la décision n°2004-492 DC de 2004).
La décision : rejet des QPC
Le Conseil constitutionnel a rejeté les demandes, qui lui étaient faites au travers de ces trois questions prioritaires de constitutionnalité, de reconnaître au salarié un droit de se taire.
Le Conseil Constitutionnel a estimé que les mesures comme le licenciement ou la sanction disciplinaire dans le cadre d’une relation de droit privé n’ont pas le caractère d’une punition au sens de cet article, et ne traduisent pas une prérogative de puissance publique. En conséquence, le salarié ne bénéficie pas du droit de garder le silence ni de l’obligation d’en être informé dans ce contexte. Ce droit reste dans le domaine des procédures pénales.
Il s’agit d’une excellente décision que nous vous expliquons. Le droit du travail impose à l’employeur, avant de prononcer un licenciement pour motif personnel ou une sanction disciplinaire, de convoquer le salarié à un entretien préalable, démarche prévue notamment par les articles L.1232-2 et L.1332-2 du Code du travail.
Lors de cet entretien, l’employeur est tenu d’exposer les motifs envisagés et recueille les explications du salarié. Toutefois, aucune disposition n’impose à l’employeur d’informer le salarié de son droit de garder le silence, à la différence de procédures pénales ou administratives où ce droit est reconnu et obligatoirement rappelé à la personne concernée.
Nous rappellerons le but de l’entretien préalable : recueillir les explications du salarié sur les faits qui lui sont reprochés. L’article L.1232-3 ainsi que l’avant-dernier alinéa de la L.1332-2 du Code du travail prévoient que l’employeur « recueille les explications du salarié ».
Le Conseil a donc jugé que les dispositions du Code du travail contestées sont conformes à la Constitution et que le droit de se taire, même reconnu en droit pénal ou administratif, ne s’impose pas dans ce contexte.
Et c’est heureux ainsi. Comment mener un entretien préalable si le salarié a droit de garder le silence. On méconnait les grands principes du droit à vouloir étendre des garanties reconnues en procédure pénale.
Nous assistons des personnes en garde à vue, et c’est bien normal qu’elles aient le droit de garder le silence et de ne pas s’incriminer. Pourquoi ? Parce que c’est à l’autorité judiciaire de rapporter la preuve de l’accusation. Et il a été reconnu que l’aveu ne se justifie pas à lui tout seul.
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Quelle est la valeur d’un aveu du salarié lors d’un entretien préalable ?
L’aveu : un élément de preuve parmi d’autres
L’aveu peut certes constituer une preuve importante, car il est une reconnaissance par le salarié d’un fait fautif ou reproché. Cela facilite pour l’employeur la démonstration de la faute. Toutefois, l’aveu doit être intégré dans l’ensemble des éléments de preuve. Un aveu isolé, si contesté ou remis en cause, ne suffit pas à justifier à lui-seul un licenciement. Notamment en raison du droit de ne pas s’incriminer, rappelé ci-dessus.
Cause réelle et sérieuse : contrôle du juge et exigences de preuve
Le simple aveu du salarié peut être un élément permettant de justifier un licenciement, mais il ne suffit pas à lui seul. En droit du travail français, le licenciement doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse, ce qui signifie que les faits reprochés au salarié doivent être suffisamment sérieux et objectifs.
Lettre de licenciement, matérialité des faits et charge de la preuve
La décision de l’employeur sera contrôlée par le juge en cas de contestation, qui appréciera la matérialité et la gravité des faits, y compris l’aveu du salarié. Non seulement, la lettre de licenciement devra exposer les griefs reprochés au salarié, mais l’employeur sera tenu de fournir les preuves, autre qu’un simple aveu que pourra toujours contester le salarié.
« Parole contre parole » : preuve illicite/déloyale et témoignages anonymisés
Et ce sera la parole de l’un contre la parole de l’autre ; quelle valeur accorder à un aveu fait devant un employeur qui n’est pas assermenté : Des conditions d’admissibilité de la preuve illicite ou déloyale et des témoignages anonymisés
Droit de se taire et conduite de l’entretien préalable
Absence à l’entretien : un exercice du droit de se taire
Faut-il aussi rappeler que le salarié a droit de ne pas se présenter à l’entretien préalable, sans qu’il soit utile de le lui rappeler. Et s’il ne se présente pas, c’est l’exercice souverain du droit de se taire.
Entretien préalable vs. procédure pénale : différences de régime
Devant une autorité publique, la personne concernée est tenue de comparaître et ne peut en général s’y soustraire.
Le salarié peut-il mentir ? Rappels et limites pénales
Le salarié a aussi le droit de mentir. Nous ne recommandons pas ici le droit de mentir. Cependant, il est important de rappeler que le mensonge n’est pas sanctionné en droit français, sauf s’il constitue un faux témoignage, une La dénonciation mensongère, une subornation de témoins, un faux susceptible de porter atteinte à autrui, telle l’escroquerie.
Aucun employeur ne pourrait fonder un licenciement sur un mensonge tenu par un salarié lors de l’entretien préalable ou un refus de reconnaitre à cette occasion un fait qui lui est reproché.
Cadre et limites de l’entretien préalable au licenciement
Pas d’interrogatoire sous contrainte : l’employeur recueille les explications
Dans le cadre d’une garde à vue, les services d’enquête tentent de mettre la personne gardée à vue face à ses contradictions pour la faire avouer et corroborer ainsi les éléments de l’enquête.
À l’occasion d’un entretien préalable, aucun employeur ne peut procéder à un interrogatoire du salarié en le contraignant à avouer en maintenant pendant 48 h l’entretien préalable. L’employeur ne peut que recueillir les explications du salarié.
Durée, pression et vices de forme : risques d’annulation (appréciation au cas par cas)
Un entretien excessivement long ou abusif, qui s’apparenterait à un interrogatoire sous pression, pourrait être contesté par le salarié en invoquant notamment une rupture du principe du contradictoire ou un vice de forme.
Pour être valable, l’entretien doit rester un échange dans lequel le salarié peut s’exprimer librement, avec la possibilité d’être assisté.
En cas d’abus manifeste (durée trop longue, pressions, interrogatoires déloyaux), la sanction prononcée pourrait être annulée par les juridictions prud’homales, mais ce type de décision reste rare, car les tribunaux évaluent au cas par cas.
Faut-il formaliser un « droit de se taire » lors de l’entretien préalable au licenciement ?
Une obligation d’information inopérante en pratique
Et si le Conseil Constitutionnel avait reconnu un tel droit de se taire, en imposant à l’employeur l’obligation de le rappeler au salarié, notamment dans la lettre de convocation, aurait-il fallu prévoir de sanctionner l’employeur qui manquerait à son obligation ?
Égalité des armes : un « droit de se taire » pour l’employeur ? (absurde)
À quoi servirait un tel droit, alors que le salarié peut ne pas se présenter à l’entretien préalable, peut se taire et même mentir sans que l’employeur ne puisse fonder sa décision sur ce comportement.
Et aurait-il fallu reconnaitre à l’employeur le droit de se taire en vertu du principe d’égalité des armes ou du droit à un procès équitable, principe fondamental en droit français. Verrions-nous un employeur tenir un entretien préalable en usant de son droit de garder le silence ! Manifestement, les questions prioritaires de constitutionnalités méritaient d’être rejetées.
Finalité de l’entretien préalable
Garantir l’expression du salarié… et rappeler que tout entretien ne mène pas à une sanction
Bien au contraire, le droit de parler au cours de l’entretien préalable garantit le salarié qu’il peut être entendu dans ses explications. Doit-on rappeler qu’un nombre significatif d’entretiens préalables heureusement ne donnent pas lieu à une sanction. Et c’est bien l’objet même de l’entretien préalable.
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FAQ – Le droit de se taire lors de l’entretien préalable au licenciement
Le salarié a-t-il le droit de se taire lors de l’entretien préalable au licenciement ?
Oui. Le salarié peut garder le silence pendant tout l’entretien préalable. L’employeur ne peut pas le sanctionner pour ce choix. Toutefois, ce silence n’empêche pas la procédure de licenciement de se poursuivre.
L’employeur doit-il informer le salarié de son droit de se taire ?
Non. Contrairement à la garde à vue, le Code du travail n’impose pas à l’employeur d’informer le salarié qu’il peut garder le silence. Le Conseil constitutionnel a confirmé cette position dans sa décision du 19 septembre 2025.
Que risque le salarié s’il choisit de ne pas répondre aux questions de l’employeur ?
Aucun risque direct : le silence ne peut pas être sanctionné. Néanmoins, il prive le salarié de l’occasion de donner sa version des faits, ce qui peut peser dans l’appréciation de l’employeur ou du juge en cas de contestation du licenciement.
L’aveu du salarié lors de l’entretien préalable suffit-il à justifier un licenciement ?
Non. L’aveu n’est qu’un élément parmi d’autres. L’employeur doit toujours démontrer une cause réelle et sérieuse de licenciement avec plusieurs preuves concordantes. Un aveu isolé ne suffit pas.
Le salarié peut-il se faire assister à l’entretien préalable au licenciement ?
Oui. Il peut être assisté par un représentant du personnel (CSE, délégué syndical) ou, à défaut, par un conseiller extérieur figurant sur une liste en mairie ou à l’inspection du travail.
Le salarié peut-il ne pas se présenter à l’entretien préalable ?
Oui. L’absence à l’entretien est possible et ne peut pas être sanctionnée en soi. L’employeur peut néanmoins poursuivre la procédure de licenciement après avoir respecté le délai légal de réflexion.
Quelle différence avec le droit de se taire en garde à vue ?
En garde à vue, le droit de se taire est un droit fondamental rappelé à toute personne mise en cause, car la procédure relève de l’autorité judiciaire. Dans le cadre d’un entretien préalable au licenciement, il ne s’agit pas d’une procédure pénale, mais d’une relation de droit privé : le salarié peut se taire, mais ce droit n’est pas encadré de la même manière.