Une succession comportant des charges de copropriété soulève souvent des difficultés juridiques : lorsque le copropriétaire débiteur décède, les héritiers doivent rapidement décider s’ils acceptent ou renoncent à la succession pour éviter une acceptation irrévocable après sommation d’opter.
L’articulation entre le droit des successions et le droit de la copropriété est un terrain fertile de contentieux, en raison des dettes récurrentes de certains copropriétaires et de leur transmission aux héritiers. Parmi ces dettes, figurent de manière quasi-systématique les charges de copropriété, nécessaires à l’entretien et au bon fonctionnement des immeubles collectifs. Lorsque le copropriétaire débiteur décède, le syndicat des copropriétaires se trouve confronté à un enjeu capital : identifier rapidement les héritiers et déterminer s’ils entendent accepter ou renoncer à la succession.
L’arrêt rendu le 5 février 2025 par la première chambre civile de la Cour de cassation (n°22‑22.618, publié au Bulletin) illustre avec force cette problématique. La Haute juridiction vient préciser les effets d’une sommation d’opter adressée à des héritiers par un syndicat des copropriétaires créancier, et confirme la rigueur de la sanction en cas d’inaction des successeurs.
La décision s’inscrit dans une jurisprudence classique, mais très attendue, dans un contexte dans lequel les copropriétés cherchent à se prémunir de situations d’endettement chronique. Elle soulève toutefois une interrogation récurrente : quelle est la marge de manœuvre de l’héritier sommé passée l’expiration du délai de deux mois ?
1. Contexte factuel : succession, charges de copropriété et naissance du contentieux
Notre Cabinet est souvent saisi par des syndicats des copropriétaires démunis face à un copropriétaire décédé. En l’espèce, le litige naît du décès, en 2017, d’un copropriétaire qui devait d’importantes charges de copropriété. À son décès, ses enfants — deux fils et une fille — héritent d’une succession grevée d’un passif très important, composé notamment de charges de copropriété impayées totalisant plus de 91 000 euros.
Conformément aux articles 771 et 772 du Code civil, le syndicat — créancier de ces charges — délivre en juillet 2019 aux héritiers une sommation d’opter. Cette procédure permet à un créancier de contraindre les héritiers à prendre rapidement position sur l’acceptation ou la renonciation à la succession.
Or les héritiers, confrontés à ce choix délicat, ne réagissent pas dans le délai légal de deux mois. Le syndicat assigne alors la fratrie devant le tribunal pour obtenir paiement de la dette en leur qualité d’héritiers acceptants purs et simples. La Cour d’appel de Nîmes (7 juill. 2022) leur donne raison : passé le délai, la fiction légale joue et les héritiers sont tenus personnellement au passif successoral. Les consorts tentent de soutenir qu’ils pouvaient encore renoncer, faute de décision judiciaire définitive entérinant l’acceptation.
C’est dans ce contexte que le dossier parvient devant la Cour de cassation, qui confirme la condamnation.
2. Cadre juridique : option successorale et sommation d’opter dans les successions avec charges de copropriété
2.1. L’option successorale dans une succession avec charges de copropriété
Le droit français accorde aux héritiers deux grandes libertés : accepter la succession (soit purement et simplement, soit à concurrence de l’actif net) ou y renoncer. Ce choix n’est pas illimité dans le temps, mais encadré par les articles 771 et suivants du Code civil.
En principe, l’héritier bénéficie d’un délai de quatre mois minimum après l’ouverture de la succession, durant lequel il ne peut être forcé de se prononcer (article 771 du Code civil). Passé ce délai, un créancier du défunt, un cohéritier, un syndicat des copropriétaires peut l’y contraindre par sommation d’opter.
2.2. Sommation d’opter : effets sur les héritiers et les charges de copropriété
La sommation fait courir un délai de deux mois au terme duquel l’héritier doit impérativement :
- se prononcer (acceptation pure, acceptation à concurrence, ou renonciation), ou
- solliciter du juge un délai supplémentaire (par exemple s’il n’a pas terminé l’inventaire de la succession).
À défaut de réaction dans le délai ou d’obtention d’une prorogation judiciaire, la loi érige une fiction irréfragable : l’héritier est réputé avoir accepté purement et simplement.
2.3. Protection des copropriétés créancières en cas de succession impayée
Ce dispositif trouve une utilité toute particulière en matière de copropriété, où le recouvrement des charges constitue une priorité absolue pour assurer la pérennité des immeubles. Le législateur offre ainsi aux syndicats un levier précieux pour éviter l’inertie des héritiers, souvent réticents à se positionner sur une succession déficitaire.
3. Analyse de l’arrêt du 5 février 2025 sur la succession et les charges de copropriété
3.1. Les prétentions des héritiers face à la sommation d’opter
Devant la Cour de cassation, les héritiers du copropriétaire défaillant vis-à-vis de la copropriété, soutenaient que la sommation d’opter ne les privait pas définitivement du droit de renoncer, tant qu’une décision judiciaire constatant leur qualité d’acceptants n’était pas passée en force de chose jugée. Selon eux, la jurisprudence admettait auparavant une certaine souplesse, permettant à l’héritier de se rétracter tant que le juge n’avait pas scellé son acceptation.
3.2. Position de la Cour de cassation : acceptation irrévocable de la succession
La Haute juridiction adopte une lecture stricte du Code civil. Aux termes de l’arrêt, le défaut de réponse dans les deux mois emporte irrévocablement acceptation. Les héritiers ne peuvent plus, après ce terme, ni renoncer, ni opter pour l’acceptation à concurrence de l’actif net. C’est l’enseignement principal de cet arrêt.
La Cour d’appel de Nîmes avait donc, selon la Cour de cassation, exactement retenu que les actes de renonciation produits par les héritiers postérieurement étaient inopérants. La dette d’environ 91.500 € devait être supportée par eux en qualité d’héritiers acceptants purs et simples.
3.3. Confirmation d’une jurisprudence stricte sur la succession et les charges de copropriété
Cette décision s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence protectrice des créanciers successoraux. La Cour confirme que la fiction d’acceptation instaurée par l’article 772 Code civil est absolue et qu’elle prive définitivement l’héritier de son droit de renonciation.
🏛️ Vous êtes confronté à une succession avec des charges de copropriété impayées ?
Notre cabinet accompagne les syndics, héritiers et notaires dans le traitement juridique et contentieux de ces situations.
👉 Contactez-nous dès maintenant pour une analyse rapide de votre dossier.
4. Apports et sévérité de la solution pour les héritiers et copropriétés
Cette décision se révèle lourde de conséquences pour les héritiers, mais bénéfique pour la sécurité des créanciers, en particulier les syndicats de copropriétaires.
4.1. Héritiers et succession : une sévérité accrue en matière de charges de copropriété
La solution accentue la rigueur de la procédure. Alors que certains pouvaient espérer conserver la possibilité de renoncer après le délai, tant qu’aucune décision judiciaire définitive n’était intervenue, la Cour ferme clairement cette porte. L’héritier silencieux devient un débiteur irrévocable du passif.
Ce mécanisme peut surprendre, d’autant que les héritiers sont souvent non informés, éloignés géographiquement (comme dans le cas d’espèce avec des résidences en Belgique et aux Émirats) ou en désaccord entre eux.
4.2. Pour les copropriétés : la sommation d’opter, un levier efficace pour recouvrer les charges
Le syndicat des copropriétaires se voit conforté dans sa stratégie : il lui suffit de délivrer une sommation d’opter pour sécuriser rapidement ses créances. En cas d’inaction, les héritiers sont réputés acceptants et deviennent personnellement responsables. C’est un outil essentiel dans la lutte contre les copropriétés en difficulté, minées par le manque de liquidités.
5. Incidences pratiques pour les professionnels du droit de la succession et de la copropriété
5.1. Syndics : comment gérer une succession avec charges de copropriété impayées
Les syndics ont tout intérêt à recourir à la sommation d’opter lorsque des impayés perdurent après le décès d’un copropriétaire. L’arrêt de 2025 leur confirme que cette démarche est efficace et permet de verrouiller rapidement la responsabilité des héritiers.
5.2. Pour les Notaires
Les notaires doivent conseiller avec une vigilance accrue les héritiers. Les délais de deux mois, relativement courts, imposent d’anticiper et d’engager rapidement un inventaire successoral. L’information des héritiers sur ce mécanisme rigide est indispensable pour éviter des surprises coûteuses.
5.3. Pour les Avocats
Les avocats spécialisés en droit immobilier et successoral doivent alerter leurs clients : l’inaction n’est pas neutre. Elle équivaut à une acceptation définitive, avec toutes ses conséquences pécuniaires.
6. Appréciation critique : succession, copropriété et équilibre entre héritiers et créanciers
On peut se demander si cette sévérité ne mérite pas d’être atténuée par le législateur. Certains auteurs suggèrent d’introduire une faculté de rétractation dans un délai restreint, afin de protéger les héritiers de bonne foi, mal conseillés ou mal informés.
Toutefois, le maintien de la règle actuelle garantit aux créanciers une sécurité indispensable. En copropriété, où l’impayé d’un seul copropriétaire peut fragiliser l’ensemble de l’immeuble, cette rigueur semble justifiée.
Conclusion : succession, charges de copropriété et acceptation irrévocable
Par son arrêt du 5 février 2025, la Cour de cassation confirme le caractère irréversible de la fiction d’acceptation instaurée par l’article 772 du Code civil. L’héritier qui reste silencieux à l’issue du délai de deux mois suivant une sommation d’opter ne peut plus renoncer ni limiter sa responsabilité.
Pour les syndicats de copropriétaires, la décision constitue une arme décisive dans la lutte contre les impayés, en assurant la continuité du recouvrement des charges. Pour les héritiers, elle rappelle l’extrême vigilance à adopter dans l’administration des successions.
Cet arrêt illustre parfaitement la constante tension entre la protection des créanciers collectifs (ici, la copropriété) et la sauvegarde des droits individuels des héritiers. Il consacre la primauté de la sécurité juridique et de la solvabilité des copropriétés, au détriment d’une certaine flexibilité successorale.
Conseils pratiques : succession, charges de copropriété et sommation d’opter
Rappelez dans votre sommation que l’option est obligatoire et faute de réponse, non seulement les héritiers seront considérés comme ayant accepté la succession purement et simplement, mais qu’en outre, certes tacitement, mais de manière irrévocable et qu’en conséquence, ils ne pourront plus y renoncer postérieurement.
Certes, les héritiers n’ont pas su répondre à la sommation, mais ayant ainsi accepté purement et simplement la succession, ils se retrouvent débiteurs des charges de copropriété, mais également propriétaires d’un bien immobilier. La question n’est pas celle de savoir si les charges de copropriété sont couvertes par la valeur du bien que de savoir si les héritiers vont s’entendre sur la conservation du bien ou sa vente. Il vous est recommandé dans ce cas de vous faire conseiller par un professionnel du droit.
Pour un éclairage complémentaire, consultez également notre précédent article : 👉 Créances et dettes successorales : comprendre et les gérer efficacement
Une sommation d’opter mal gérée peut entraîner une acceptation irrévocable et engager votre responsabilité.
📅 Prenez rendez-vous avec le Cabinet Talon-Meillet Associés pour sécuriser vos démarches successorales.
❓FAQ – Succession et charges de copropriété
Qu’est-ce qu’une succession avec charges de copropriété ?
Une succession avec charges de copropriété intervient lorsqu’un copropriétaire décédé laisse des dettes impayées liées à la copropriété. Les héritiers deviennent alors responsables de ces charges, sauf s’ils renoncent à la succession dans les délais légaux.
Qu’est-ce qu’une sommation d’opter en matière de succession ?
La sommation d’opter est une procédure par laquelle un créancier — par exemple un syndicat de copropriété — oblige les héritiers à se prononcer sur l’acceptation ou la renonciation à une succession dans un délai de deux mois.
Que se passe-t-il si les héritiers ne répondent pas à la sommation d’opter ?
S’ils restent silencieux, les héritiers sont réputés avoir accepté la succession purement et simplement, ce qui les rend personnellement responsables des charges de copropriété impayées du défunt.
Les héritiers peuvent-ils revenir sur leur décision après une sommation d’opter ?
Non. L’arrêt de la Cour de cassation du 5 février 2025 confirme que le silence après la sommation d’opter vaut acceptation irrévocable de la succession. Les héritiers ne peuvent plus renoncer après expiration du délai.
Comment un syndic peut-il recouvrer les charges en cas de succession ?
Le syndic peut adresser une sommation d’opter aux héritiers connus, puis engager une action en recouvrement une fois le délai expiré. Cette démarche sécurise rapidement les créances de charges de copropriété.













